Samedi 27 octobre 2012
Le golfe du Morbihan
Port Navalo Basse mer 10h05 pleine mer 16h32 coeff 78
vents nord nord est > 5 beaufort
Hervé, Christian, Pierre-Dominique, Anny, Michel, Martine, Alex, Mélanie, Franck, Thierry, Sylvain, Frantz, Marc, Julien, Noemi, Marie-Laure, Michel, Jean-Claude, Yannick, Mohamed, Roger
Grand
huit
Quand je
serai grand'-mère et que mes petits-enfants me demanderont :
"Mélanie, raconte-nous ta première sortie dans le Golfe du
Morbihan", je leur dirai que nous avons embarqué depuis l'anse
de Kerners, que nous avons fait deux bacs d'échauffement avant d'en
faire un plus grand, dans le courant de la Jument. Puis nous avons
passé Gavrinis et l'Ile Longue, et longé la côte jusqu'à
Port-Navalo, où nous avons pique-niqué. Et nous sommes revenus par
la pointe de Kerpenhir, puis celle du Mouton...
Mais ce
n'est pas vraiment comme cela que les choses se sont passées !
La
vérité, c'est que je ne connaissais pas tous ces noms, ces
endroits, ces îles, ces termes techniques ! L'avant-veille, je ne
savais même pas ce qu'était un bac ! (Je connaissais le principe,
mais pas le nom, et de toutes façons je ne l'avais jamais vécu en
grand ! J'avais joué un peu avec le courant, en rivière, mais rien
de comparable...)
La
réalité, c'est qu'il y avait du vent, du courant, des remous dans
tous les sens, le froid, la fatigue, des bateaux de tous côtés, de
la buée sur mes lunettes, et du sel aussi, et que sans mes lunettes
je n'y voyais rien non plus car j'étais éblouie par le soleil et la
réverbération de l'eau...
La
vérité, c'est que j'étais complètement perdue, désorientée,
dans un environnement hostile et instable, et que j'entendais des
indications contradictoires !
Quand on
racontera cette sortie, il y a aura une logique, une chronologie, un
sens. Il y aura un début, un milieu et une fin. Mais en fait, vus de
l'intérieur, les événements se sont déroulés dans le désordre !
Dans ma
tête, tout cela est encore bien emmêlé, mais je me souviens
clairement des préparatifs : la date réservée depuis longtemps, en
fonction des coefficients de marée ; l'organisation de la logistique
; les bateaux attribués à l'avance, pour éviter de perdre du temps
au départ ; les discussions sur le forum, l'excitation qui monte peu
à peu...
Samedi
matin, je me suis levée tôt, un peu fatiguée mais tellement
motivée ! J'avais acheté un pantalon en néoprène bien chaud, en
prévision du changement de temps, j'avais préparé mon pique-nique,
ainsi qu'un gâteau à partager au retour.
Une
sortie bien préparée, c'est rassurant ! Je n'ai pas voulu regarder
la météo marine : inutile de me faire du souci pour des voyants
rouges auxquels je ne comprends rien... et qui peuvent passer au vert
l'espace d'une nuit ! (Plus tard, je serai bilingue en nœuds et en
Beaufort, c'est promis !)
A mon
arrivée au club, il fait encore nuit, mais Christian est déjà là,
avec deux ou trois autres : ils sourient, tout va bien ! Et puis, je
vais retrouver l'Eliza, que je commence à apprivoiser : il est
stable, pas trop lourd, robuste (je n'ai pas peur de l'abîmer dans
les rochers comme le Nuka !), et on s'entend bien, tous les deux !
Nous
commençons à charger la remorque. Bientôt, tout le monde est
arrivé. Le chargement progresse rapidement, chacun participe, on
plaisante gaiement : j'adore cette effervescence conviviale des
petits matins pleins de promesses !
Nous
nous répartissons dans les véhicules : pas de place perdue ! Je
monte avec Marie-Laure et Martine dans le kangoo de Michel, très
confortable, et nous voilà partis ! On s'arrête à Herbignac pour
prendre Hervé et Roger, et on file plus à l'Ouest : La
Roche-Bernard, Questembert, Sarzeau... J'ai l'impression de partir en
vacances : même excitation de se lever tôt, mêmes voitures
pleinement chargées, même route...
Arrivés
à Kerners, les costauds se concertent : il y a beaucoup de vent ! On
annonce force 5, mais ça ne me parle pas ; je me tourne vers
Marie-Laure qui me traduit : "On est dans le rouge. En temps
normal, on ne sortirait pas. Si ce n'était pas le Golfe, on
annulerait !" (Glups !)
Finalement,
l'itinéraire est adapté, et nous nous équipons. Je suis satisfaite
: ça fait tellement longtemps que j'en rêve, de cette sortie dans
le Golfe, j'aurais été vraiment déçue d'avoir à renoncer
maintenant !
Avant
d'embarquer, Christian me confie une écope (ça peut servir !) et un
bout de remorquage (non, là, vraiment, je ne vois pas !). Comme je
ne sais pas où attacher celui-ci, je demande de l'aide à Franck :
il raccourcit la corde à l'aide d'un superbe point de crochet, qui
me rappelle ma grand'-mère quand elle nous tricotait des
couvertures...
Après
ce petit moment de poésie, j'embarque sans problème et je pagaie
pour me réchauffer. Je fais des ronds dans l'eau en attendant que
tout le monde soit prêt : nous sommes vingt-et-un sur l'eau !
Franck
et Hervé ouvrent la marche, Christian et Sylvain restent en
fermeture : jusque-là, les choses sont claires ! Le convoi démarre,
contourne la pointe de Kerners et nous voilà au point de départ du
premier bac. Pierre-Dominique nous fait une démonstration de la
technique à utiliser. (Ça a l'air tellement facile, quand c'est lui
qui fait !)
"Qui
n'a jamais fait de bac ?" demande Julien.
- Moi !
(Mais j'ai compris le truc, je vais y arriver !)
- Alors
je vais t'accompagner." (C'est vraiment utile ? ... Un doute
sourd en moi... Bon, d'accord !)
Et c'est
parti ! Je fais tout comme Julien (avec un tantinet moins d'élégance,
certes !), je vise consciencieusement la pointe en face, je ne
regarde pas à gauche, là où nous sommes censés arriver, et je
sens nettement le courant nous déporter en crabes ! Par moments, il
y a des remous, je pense à pencher mon kayak pour éviter que l'eau
ne passe au-dessus, je pagaie plus fort (à ce stade, je n'ai plus
froid du tout !). Dès que je relâche l'effort, je sens que je
recule rapidement. (C'est encore loin ? Je n'ose pas regarder notre
destination, de peur de faire dévier mon kayak et de ne pas réussir
à le remettre dans le bon axe...)
Finalement,
la surface de l'eau change d'aspect : elle est toute lisse (chic ! on
est arrivés !). Mais non ! Ne t'arrête pas, le contre-courant est
encore plus loin ! (Ah ! Oui ! Je vois les vaguelettes en sens
opposé, un peu plus près de la rive.)
Un
dernier effort, et j'y suis ! J'entends des encouragements, je suis
contente : ça s'est bien passé ! Et puis, c'était plutôt rigolo !
C'est très déconcertant, cette sensation de mouvement désaxée par
rapport à l'effort fourni ! J'ai un peu le tournis...
Après
un moment de répit, nous voilà repartis... en sens inverse !
Reprise de courant, traversée sans encombre, longer la côte de
l'Ile de la Jument (rester le plus près possible pour s'abriter du
vent, j'ai l'habitude !), jusque-là ça va. Je suis un peu gênée
par la taille du groupe : nous sommes nombreux, dont plusieurs
débutants, et les bateaux ont tendance à se couper la route, voire
à se tamponner...
Nous
arrivons au bout de l'Ile de la Jument, et nous nous apprêtons à
affronter le légendaire courant du même nom...
La
première fois que j'en ai entendu parler, c'était dans les
histoires de vieux loup de mer de ma copine Isabelle : son père
habite un moulin au fond de l'anse de Baden, et c'est là qu'elle a
appris à naviguer. J'ai grandi avec des contes d'ogres et de
sorcières, elle avec des terreurs de tempêtes et de naufrages !
Autant vous dire que, maintenant, affronter le redoutable courant de
la Jument, c'est un peu comme rencontrer Barbe-Bleue en personne !
Heureusement,
je n'ai pas le temps de réfléchir, car, tels des parachutistes
avant le grand saut, nous voilà tous en file indienne. Une première
vague est déjà lâchée, j'attends mon tour fébrilement, quand
Christian m'ordonne de passer devant. Je prends une grande
inspiration, et je me lance ! Les autres me suivent de près, et
notre trajectoire est plus haute que celle de la première vague. Je
crois que nous avons pris un bon départ... Je m'applique à garder
le cap, je pagaie de toutes mes forces, mais peu à peu, je sens que
je perds du terrain par rapport aux autres. Je maintiens l'effort,
mais je me retrouve de longs mètres en recul... Le courant est si
fort, où m'emporte-t-il ? Je vois le bout de l'île arriver : que se
passe-t-il au-delà ? Je ne vois pas de rivage salvateur, pas de
contre-courant, pas d'accalmie, je suis de plus en plus loin du
groupe, toute seule au milieu de l'eau... Je commence à paniquer !
J'ai un
moment de désespoir, puis j'aperçois un mouvement dans mon dos,
probablement un kayak de la première vague... Non, je ne suis pas
perdue ! Je redouble d'efforts, et... c'est là que tout commence
réellement à s'embrouiller dans ma tête ! Comment ai-je rejoint le
groupe ? Je n'en ai plus souvenir...
Ensuite,
venait la partie "facile" de la matinée (j'ai appris à me
méfier du caractère tout relatif de le facilité version SNOS !) :
il suffit de suivre le groupe, et de se laisser porter par le
courant. D'abord, le groupe, c'est vite dit ! Les deux ouvreurs sont
hors de vue depuis belle lurette, quant au reste du groupe, il
s'étend sur un cadran horaire allant de dix heures à deux heures !
Ensuite, le courant, il n'est pas fléché ! Comment est-ce que je
sais où le trouver ?
Pour
corser le tout, mon kayak commence à faire des siennes : avec le
vent, il refuse d'aller où je veux, je voudrais bien mettre une
dérive, mais il n'y en a pas sur l'Eliza ! Il y a des safrans, mais
ils sont difficiles à installer, par un système de poulie et de
cordelettes très raides, situées à l'arrière du bateau, donc
difficiles à voir. Tout à l'heure, on m'a aidée à les sortir,
mais Christian m'a recommandé de les rentrer dans le courant, car
ils risquaient de me jouer des tours ! Il m'a donc assistée pour les
rentrer !
La seule
chose qui m'aide vraiment, ce sont les encouragements. Quand
Christian m'annonce : "ça y est, nous sommes presque à
Gavrinis, c'était la première étape", quel soulagement ! Même
si le groupe a bifurqué à gauche, il faut conserver le cap jusqu'au
rivage, et virer seulement au dernier moment.
Je
prends du retard par rapport aux autres, et je dérive de plus en
plus sur la droite... (Toujours mon kayak qui commande !)
Pierre-Dominique vient sur ma droite pour me remettre dans l'axe :
"tourne un peu vers la gauche !" (Justement, c'est ce que
j'essaie de faire depuis un quart d'heure !) J'ai l'impression de me
traîner, je ne contrôle plus mon bateau : je commence à avoir le
moral en chute libre. Je ne dis plus rien...
Le
groupe s'étale de plus en plus, je ne sais pas où je dois aller. Je
demande quoi viser. "La balise verte là-bas". (Geste vers
l'avant, sur ma gauche) Une balise ? Je connais les balises : ces
petits phares miniatures, coniques et massifs, trapus et rassurants,
peints en vert ou en rouge, qui matérialisent les chenaux et les
entrées des ports. Je vois bien une balise rouge, mais pas de verte
! Tout ce que je distingue de vaguement verdâtre, c'est une sorte
d'échafaudage métallique là-bas, qui ne me dit rien qui vaille...
(Non ! Ça ne rentre décidément pas dans la catégorie "balise",
un machin aussi creux et effrayant !)
Alors,
quand Sylvain arrive et me demande : "ça va ?", question
que je n'osais pas me poser moi-même depuis quelques temps... je
réfléchis sérieusement et je réponds distinctement : "Non."
(Incroyable comme un petit mot de rien du tout peut vous briser la
voix, sournoisement...) Il a l'air de vouloir m'aider, alors
j'enchaîne très vite, avant qu'il ne change d'avis : "Reste à
côté de moi ! Je me sens perdue..."
Nous
continuons notre route, et arriverons bientôt à l'abri du vent,
protégés par la presqu'île. A intervalles réguliers, Sylvain me
parle un peu, histoire de m'encourager. Je ne suis pas loquace, notre
discussion n'est pas très fournie ! Mais j'avance et, dès qu'il n'y
a plus de vent ni de courant, je commence à aller mieux. Je remarque
la belle pagaie en bois qu'il a fabriquée lui-même, je découvre le
paysage (j'avais oublié qu'on était dans le Golfe du Morbihan !
Sous le soleil d'automne, c'est magnifique...), je commence même à
avoir faim... Bref, je revis !
Sur la
plage de Port-Navalo, je me change rapidement et je vais m'installer
au pied du mur en pierre, dans un endroit bien chaud. Je mange mes
pâtes en silence (besoin de récupérer !) et je profite de la bonne
humeur ambiante. Mes voisins me proposent de partager, qui ses pommes
de terre aux harengs, qui du camembert (jamais rien mangé d'aussi
bon !)... Je rigole aux plaisanteries, plus ou moins fines, qui
parviennent jusqu'à mes oreilles.
Ma
préférée ? Thierry évoque une île où personne n'a le droit de
mettre les pieds (réserve naturelle je suppose), Hervé lui répond
:
"Personne,
sauf toi !
-
Pourquoi ?
- Parce
que t'es vraiment un drôle d'oiseau !"
Quand
Christian offre sa traditionnelle tournée de mini-Mars, je savoure
d'avance le petit regain d'énergie que va me procurer ce délicieux
concentré de sucre et de plaisir ! J'ai dû remercier comme il
fallait, j'ai droit à du rab ! Celui-là, je le garde dans ma poche
en cas de coup de barre. Comme Christian a remarqué que j'étais
moins bavarde dans les moments difficiles, nous établissons un code
: si ça ne va pas, je mange mon Mars de secours, et je jette
l'emballage à l'eau. Ce sera mon signal de détresse muet...
Avant de
repartir, je m'entraîne à monter et descendre les safrans de
l'Eliza, histoire d'être un peu plus autonome. Au retour, nous
aurons le courant avec nous (il a basculé), mais le vent contre. On
ne s'en rendait pas compte, abrités sur la plage, mais le vent a
encore forci. On attend des rafales à 25 nœuds (ça ne me parle
toujours pas précisément, mais je me souviens que, quand notre
trimaran filait à dix nœuds, on fonçait... Alors je suis sûre
d'une chose : 25 nœuds, c'est... vraiment beaucoup !).
Dès le
début d'après-midi, les choses s'embrouillent à nouveau dans mon
esprit. Nous avons traversé vers la pointe de Kerpenhir, je ne m'en
souviens même pas ! Je me rappelle en revanche très nettement la
traversée suivante, vers la pointe du Mouton...
Il y
avait du vent, très fort, qui venait de la gauche ; du courant,
puissant, qui poussait depuis la droite ; des vagues, croisées,
tantôt de gauche, tantôt de face, et j'ai pagayé tout ce que j'ai
pu, pendant un très très long moment !
Je me
suis retrouvée en arrière du groupe, mais pas seule : j'ai eu droit
à une escorte. A plusieurs reprises, j'ai senti mon kayak basculer :
je l'ai redressé d'un mouvement de hanches, copieusement assorti de
jurons bien sentis (de toutes façons, avec le vent, personne ne
m'entend !). Ma pagaie était attachée au bateau pour éviter de la
perdre dans le courant, en cas de retournement : mon leash s'est
détaché ! (J'ai appelé au secours, personne n'a répondu. De
toutes façons, impossible de s'arrêter pour refaire le noeud !)
Plus d'une fois, j'ai crié et pesté contre le vent qui me
déstabilisait, déportait ma pagaie, me faisait dévier de mon cap
et me forçait à me baisser, à tel point que j'avais les abdos en
feu !
A force
de pagayer, concentrée à l'extrême pour éviter les embûches sans
cesse renouvelées, j'ai fini par atteindre la zone abritée derrière
la pointe du Mouton. Franck nous a rejoints, et m'a parlé
tranquillement. L'eau, sa voix, tout ce calme soudain, après cette
agitation, cet effort si intenses, ça m'a liquéfiée !
Je
passerai pudiquement les sanglots (Franck appelle ça le contre-coup)
et le remorquage pour rejoindre le groupe sur la rive en face (j'ai
pagayé, faut pas croire ! Mais au moins je n'avais plus à lutter
pour tenir le cap, quel soulagement !). Là, je n'avais plus qu'une
idée en tête : rentrer ! Alors nous avons formé deux sous-groupes
: le premier devait rentrer directement, le second passerait par
l'Ile Berder, pour jouer encore un peu dans le courant.
Me voilà
donc soulagée de repartir, en compagnie d'Alexandre, Mohamed et
Frantz, sous la direction de Franck. Finalement, Noémi, Julien et
Anny se joignent à nous. Mais je ne suis pas encore au bout de mes
peines !
D'abord,
le vent nous arrive de face, et même en longeant le rivage au plus
près, j'ai du mal à avancer. Je me repère par rapport à des
points à terre : par moment, même en forçant sur la pagaie, je ne
les vois pas bouger d'un pouce ! Ensuite, à la pointe du Monteno, le
kayak d'Anny tamponne le mien. Rien de grave, sauf qu'ils restent
coincés ! (Comment est-ce possible ? Je n'en reviens pas.)
"Julien,
au secours !" (Je n'y crois pas, j'ai vraiment appelé au
secours ?)
Avec le
vent, l'opération devient délicate, et prend un certain temps...
Trente
secondes plus tard, me voilà à nouveau coincée, au milieu des
rochers cette fois : mes safrans sont bloqués dans les algues, je
n'arrive pas à les remonter. (Là, je perds tout mes moyens : quand
est-ce que ce cauchemar va s'arrêter ?) Après plusieurs tentatives
infructueuses pour sortir de ce piège, (Franck me suggère même de
descendre de mon kayak, pour le remettre dans le bon sens, mais je
sens que je serais incapable d'embarquer à nouveau toute seule), je
finis pas retrouver un semblant de lucidité et par suivre le conseil
de Julien : mes safrans ne sont plus dans les algues, je peux les
remonter. Et ça marche ! (Alléluia !) Julien me remorque hors de la
zone des rochers, et Franck prend le relais jusqu'à l'anse de
Kerners.
Je ne
pense plus, je suis le rythme de la pagaie de Franck, et c'est tout.
Au bout d'un moment, je ne vois plus les autres derrière, mais je
n'ose pas me retourner. De toutes façons, avec ce vent, on ne peut
pas s'arrêter, sinon on recule ! Je culpabilise : si Franck n'avait
pas besoin de me tirer mon kayak, il pourrait s'occuper plus des
autres. Et si jamais l'un deux tombe à l'eau ? (Bon, arrête de
broyer du noir, ça ne sert à rien !)
Quand
nous trouvons un endroit plus calme, nous faisons une halte et
Mohamed nous rejoint. Il est inquiet, lui aussi. Franck nous rassure
: nous sommes près du but, il va nous amener là-bas, puis revenir
chercher les autres.
En fin
de compte, c'est Frantz qui arrive en premier : il nous aide à
débarquer, et nous raconte qu'il a croisé Alexandre, en sens
inverse ! Il s'est trop approché de la rive, et s'est fait prendre
dans le contre-courant... Franck revient rapidement avec le reste du
groupe, tout le monde va bien, je suis soulagée.
Quant au
groupe de l'Ile Berder, il revient au grand complet, une fois que
nous sommes changés et réconfortés avec les délicieuses
Madeleines aux amandes d'Anny.
Ainsi
s'achève cette mémorable journée, dans le partage des gâteaux,
l'entraide pour charger et rincer les bateaux, et la fraternité de
ceux qui ont vécu ensemble des émotions fortes...
Quand
j'avais huit ou dix ans, ma mère m'a emmenée sur des montagnes
russes, en Californie. C'était la première fois que je voyais un
manège qui faisait un tour complet : le chariot commence par monter
en marche arrière, à la verticale, puis il reste un moment suspendu
dans le vide, avant de redescendre à toute allure, de faire un
looping et de s'immobiliser de l'autre côté, toujours à la
verticale, mais la tête vers le ciel cette fois ! Un petit temps
d'attente qui paraît une éternité, et il repart... en sens inverse
!
J'ai eu
le temps d'observer ce petit manège un bon nombre de fois, en
faisant la queue, avant de pouvoir monter dedans. Là, j'ai commencé
à avoir peur : "au secours ! Je veux descendre !" Mais il
était trop tard, j'étais solidement arrimée à mon siège... et le
chariot a démarré. Je n'ai quasiment pas respiré pendant deux
minutes, je suis sortie de là livide.
Ma mère,
craignant de m'avoir dégoûtée des montagnes russes, m'a demandé
en plaisantant : "Alors, on y retourne ?"
Je l'ai
regardée, et j'ai répondu en secouant la tête... "Oui !"
Voilà,
vous connaissez la véritable histoire de ma première sortie en
kayak dans le Golfe. Quel rapport avec le grand huit ? Allez
savoir...
En tout
cas, si vous me demandez d'y retourner une fois prochaine... je crois
que vous connaissez à l'avance ma réponse !
Maintenant,
ce que je suis curieuse de connaître, c'est la véritable histoire
en entier... Avec la version de chacun d'entre vous. Parce que cette
sortie, personne ne l'aurait faite seul ! Cette merveilleuse
histoire, c'est avant tout la nôtre !
Mélanie