Ces idées-là
Bébé, faudrait rentrer tu vois !
Je suis en mal d'être avec toi...
Quand j'arrive au Bois Joalland, Louis Bertignac se met à
jouer "Ces idées-là", une chanson qui me prend aux tripes : pas le
moment de pleurer, vite éteindre la radio ! Mais il est trop tard ! Ma voiture
s'est transformée en salle de concert privée, et je chante à tue-tête...
Faut pas m'laisser traîner là,
Seul avec ces idées-là...
Oh, oh, oh...
Dès que je pose le pied dans la cour du club, le soleil de
plomb et le fait de retrouver du monde me redonnent la pêche. Je suis contente
de revoir les adorables petits-enfants de Roger,
et puis Cathy avec son grand sourire ! Même
Franck, avec sa barbe de quelques jours, a un petit air de vacances...
Par un processus oligocratique assez mystérieux, il est
décidé que nous embarquerons au Pointeau. La destination me convient. En fait,
n'importe laquelle me conviendrait : c'est si bon de ne pas avoir à décider !
Se laisser porter par le groupe, ne plus être la maman, la pro, celle sur qui
repose l'intendance...
Ne pas avoir à conduire non plus ! Je monte dans la voiture
de Christian, qui se la joue aventurier (pas
question de brancher le GPS !), et je profite du paysage en bavardant gaiement.
Sur l'eau, c'est encore un autre état d'esprit. Dès que
j'enfile mon gilet de sauvetage, je passe en mode "sportif",
concentrée sur mes gestes, et sur l'environnement. D'abord, comprendre quel est
l'objectif (le château d'eau, vers la pointe St Gildas), puis pagayer.
Retrouver l'ampleur du geste, le rythme, cette petite musique si
caractéristique du kayak... Le bruit de l'eau, la pression de la pale sur
l'élément fluide, le mouvement qui ressemble à celui des bras d'un nageur de
papillon... Mes muscles qui se réveillent, me rappellent de faire de larges
huits, bien fluides : plus le geste est efficace, plus je sens que je tire mon
énergie des profondeurs du ventre...
Pendant les Jeux Olympiques, un de mes grands plaisirs est
de regarder la Gymnastique Rythmique et Sportive : l'habilité et la grâce de
ces gymnastes me fascine ! Le ruban ou les massues deviennent un prolongement
de leur propre corps... En kayak, je retrouve un peu de cette harmonie :
lorsque le mouvement est réussi, le kayakiste devient une sorte de centaure des
mers, avec un corps de bateau, un torse humain, et une pagaie en guise de
bras...
A force de rêvasser, j'ai perdu l'objectif de vue ! Non, en
fait, j'ai suivi le groupe, qui a bifurqué pour surfer dans la houle, très
prononcée à présent. Et zut ! Voilà que j'ai à nouveau le mal de mer ! Oh! Là!
Là! On est à peine au début de la sortie... Comment vais-je tenir jusqu'au bout
?
Et là, miracle ! Coup de sifflet, rassemblement et ...
incroyable ! On fait une pause ! (J'avais fini par croire que ce mot était
banni du vocabulaire des costauds !) Je comprends que Viviane
a eu un petit coup de mou, et que le programme va être adapté pour permettre à
tout le monde de suivre (quelle bénédiction !). Bon, la pause, c'est bien, mais
rester inactive n'arrange pas mes nausées... Tout à coup, je suis pressée de
repartir !
Enfin, on fait demi-tour : le moral des troupes remonte.
En repassant devant le Pointeau, Gérard
s'éclipse, et on continue vers la pointe de Mindin. On trouve quelques belles
vagues à surf, certains en profitent pour jouer, mais Viviane,
restée en retrait, décide visiblement de rentrer. Roger,
inquiet, la rattrape pour l'accompagner.
Quant à moi, distraite par ces péripéties, je me laisse
surprendre par une déferlante qui arrive perpendiculairement au Nuka, et vlan !
Roulade et dessalage !
Allez, pas de panique, Mélanie ! C'est le moment de mettre
en application ce que tu as appris lors de ta première séance d'esquimautage !
J'essaie de me tendre en arrière pour redresser le kayak, mais ça ne fonctionne
pas comme pendant le cours : je suis désorientée, je veux aller trop vite, j'ai
peur de ne pas pouvoir reprendre mon souffle, avec toute cette eau qui m'arrive
dans le nez... Bref, je n'y arrive pas !
Alors je déjupe (ça, c'est bon, je maîtrise !), constate que
j'ai pied, en profite pour vider mon kayak, et remonter dessus toute seule
comme une grande... (Je suis super fière !) Je m'apprête maintenant à me
glisser dans l'hiloire quand... vlan ! Une nouvelle vague me ramène la tête
sous l'eau ! Deuxième tentative : cette fois-ci, je rentre dans l'hiloire, mais
la manœuvre fait tanguer dangereusement le Nuka (beaucoup moins stable que
l'Elisa !)... et la vaguelette suivante fera le reste !
Avec ces plongeons répétés, j'ai largement puisé dans mes
réserves en énergie : j'attends du renfort pour remonter cette fois ! Nous
rejoignons Cathy, qui a dessalé également
(quelle solidarité !) et les autres, qui ont réalisé de beaux surfs paraît-il.
Poussés par la houle, nous reprenons notre route vers la pointe de Mindin.
Étonnamment, je ne me sens pas larguée, aujourd'hui ! Est-ce
parce que j'ai progressé, ou parce que l'allure du groupe est moins rapide que
d'habitude ? Les costauds se relaient toujours pour me tenir compagnie, ça me
rassure, et ça me fait plaisir de discuter un peu.
Parfois, je me demande à quoi ils pensent... Est-ce qu'on
cesse un jour d'avoir à se concentrer sur le moindre coup de pagaie, à rester
vigilant face à chaque nouvelle vague ? En même temps, j'aime bien cet état
d'attention extrême, ça m'oblige à rester dans l'instant présent, ça me vide la
tête !
Arrivés au niveau du Serpent d'Océan, sculpture étrangement
préhistorique, certains en font le tour ou cherchent à se glisser entre ses
vertèbres. J'en profite pour aller sur la plage, vider mon kayak qui avait
repris un peu d'eau pendant les manœuvres post-chavirage. Je ne maîtrise
toujours pas le départ de la plage, alors j'enfile ma jupe sur le sable,
histoire d'assurer le coup : évidemment, ça ne plaît pas aux puristes, ni au Nuka
qui refuse de sortir sa dérive, sans doute coincée par du sable !
Depuis la dernière sortie au Pouliguen, j'ai appris à me
méfier : un aller facile peut cacher un retour musclé ! Je ne suis donc pas
prise au dépourvu quand Michel m'explique
qu'il va falloir rentrer contre le courant, d'autant plus qu'il me conseille de
rester au bord, pour profiter du contre... Mais quand je comprends que notre
objectif, c'est la pêcherie au loin (non, pas une de celles de la baie ! Celle
qui paraît toute petite, tout au bout là-bas !), et qu'il va falloir affronter
les vagues, de travers, quasiment tout du long, sans compter qu'avec la
fatigue, je commence à avoir peur de chavirer à nouveau... Là, j'ai un (tout
petit, furtif, mais intense) moment de découragement !
Bon, de toutes façons je n'ai pas le choix, alors je suis
les indications du leader : viser la prochaine bouée jaune, puis la suivante,
et progresser ainsi pas à pas, sans se faire une montagne du chemin à
parcourir... Quant aux vagues, les prendre le plus possible de face, et pagayer
si j'ai peur. Bien, chef ! Je ne réfléchis plus, et ça va déjà beaucoup mieux :
je pagaie, je pagaie, je pagaie.
En fin de compte, je ne vois plus les autres : où sont-ils
passés ? Je me retourne : ils sont bien là, mais derrière moi (cherchez
l'erreur !). Bah ! Ils ont l'air d'aller bien, pas la peine de les attendre,
ils me rattraperont bien ! De toutes façons, je ne peux pas faire de pause, il
y a trop de houle ! Je reprends donc mon sempiternel combat : attaquer cette
vague, puis la suivante, le plus frontalement possible (à ce stade, je n'aurais
plus guère l'énergie de remonter sur mon kayak si je tombais à l'eau !).
J'arrive enfin à la pêcherie : youpi ! Mais non, ce n'est pas encore fini ! Il
faut encore la contourner, à cause des rochers, et passer la première plage...
Oh! Non ! Encore tout ça !
Où est-ce que je trouve l'énergie de pagayer encore ? Je ne
sais pas, c'est là que je m'aperçois que j'ai un peu gagné en endurance...
J'arrive enfin, complètement vidée ! Je me dépêche de mettre mon kayak à
l'abri, pour aller plonger et... me détendre dans l'eau chaude ! Ce bain de mer
là, je l'ai bien mérité !
J'aurais bien fait quelques esquimautages avec le Nuka, mais
là, je n'ai plus de jus ! Alors je regarde Françoise
et Anny, qui ont esquimauté dans les vagues à plusieurs reprises, terminer en
beauté...
En rentrant chez moi, j'ai du soleil plein les yeux, de
l'eau plein les oreilles... et mon lit se met à tanguer ! Cette fois-ci, pas
besoin de pagayer, je me laisse aller... Bercée par les sensations de cette
splendide journée d'été, je m'endors, plouf !
C'est là que Bertignac revient me susurrer à l'oreille :
J'suis pas si fort que tu crois,
Pas si fort que ça...
Avec, par ordre d'apparition au club :
Roger, Christian,
Cathy, Michel,
Franck, Mélanie, Gérard, Françoise,
Viviane, Pierre-Dominique et Anny.
Mélanie
quelques photos dans les vagues de St-Brévin